Quelques remarques sur l’écriture inclusive
L’écriture inclusive n’est pas une écriture “féminisée” mais une écriture qui inclut autant les hommes que les femmes, ce qui en fait un outil de lutte contre les inégalités. Par un raccourci fâcheux, on réduit aujourd’hui l’écriture inclusive au point médian, or sachez que tout homme politique commençant son discours par “Françaises, Français” fait de l’écriture inclusive…!
Les règles de l’écriture inclusive…
… ou plutôt : les outils et les formes ! En effet, personne ne vous oblige à les utiliser et il ne s’agit pas de réécrire les œuvres déjà existantes. Mais en réalité, beaucoup de formes inclusives sont utilisées spontanément, à l’écrit comme à l’oral, par la plupart d’entre nous.
– Les mots épicènes (même forme au masculin et au féminin ou désignant à la fois un masculin et un féminin) sont inclusifs : élève, personne, individu, compatriote, responsable…
– L‘ajout explicite du féminin est inclusif : toutes et tous, Françaises et Français, celles et ceux qui… Mais dans certains cas, l’ajout explicite du masculin peut aussi être considéré comme inclusif ! Par exemple dans “les infirmiers et les infirmières”, “les assistants maternels et les assistantes maternelles”…
– La féminisation du nom : autrice, professeure…
– Le point médian ou les parenthèses (qui s’utilisent depuis bien longtemps, notamment pour ajouter singulier et pluriel dans les consignes d’examen en fonction du nombre de réponses attendu !) sont des outils de l’écriture inclusive : les étudiant(e)s…
L’argument de la lisibilité est recevable pour ce dernier point (notamment dans les troubles dys), mais les autres formes restent tout à fait valables. Quant à l’argument de la “beauté“… Difficile de considérer les mots glaire ou bouillabaisse comme “beaux” et pourtant personne ne menace de les exclure du dictionnaire ! La beauté est une question de subjectivité qui n’a rien à voir avec la linguistique.
Si l’on veut parler d’écriture inclusive, il faut parler d’histoire de la langue. Historiquement, quelle est la place du féminin dans la langue, dans le lexique et dans les accords ?
Le féminin dans la langue, historiquement
Le français du Moyen Âge ne se pose pas toutes ces questions et pour cause… il est très inclusif. On y trouve des cervoisières (qui fabriquent la bière, la fameuse cervoise d’Astérix !), des tisserandes, des peintresses, des ambassadrices et même des bourrelles, le féminin de bourreau ! On rencontre aussi autrice et écrivaine, malgré l’indignation d’un Académicien (Orsenna, paraît-il) qui trouve ce mot bien laid parce qu’on y entend “vaine”. Sans que ne lui vienne à l’esprit que dans “écrivain”, on entend “vain”…
Mais il n’y a pas que dans le vocabulaire que le français du Moyen Âge laisse toute sa place au féminin, dans la grammaire également. C’est le fameux accord de proximité qu’on retrouve jusqu’au XVIIe siècle. Les exemples les plus connus sont ces vers de Racine : “Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle” et pas nouveaux ; “…consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières” et pas entiers. Mais les exemples sont nombreux et dans différentes constructions.
L’Académie impose un nouvel usage
C’est au XVIIe siècle que les choses changent. Quelques grammairiens suivis par une partie de l’Académie française décident d’imposer un changement linguistique qui a tout de l’idéologie :
“Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble.”
Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647.
“Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif.”
Scipion Dupleix, Liberté de la langue française dans sa pureté, 1651
Le grammairien Beauzée, en 1767, ne se cache plus derrière de pseudo-arguments linguistiques et affirme sans détour :
“Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle.”
(Grammaire générale, ou Exposition raisonnée des éléments nécessaires du langage)
Pour caricaturer, avant le XVIIe siècle, on écrivait “les garçons et les filles sont heureuses ; les filles et les garçons sont heureux”. Après la suppression de l’accord de proximité et selon la grammaire en vigueur aujourd’hui, il faut écrire “les garçons et les filles sont gentils”. Pourtant, cette dernière forme ne sonne pas toujours bien à l’oreille et pour cause… L’Office québécois de la langue française parle de “discordance de genre” et propose de contourner le problème en finissant toujours par le masculin !
Quant aux formes féminines évoquées plus haut, elles n’ont tout bonnement pas droit de cité dans le Dictionnaire de l’Académie. Certaines formes ont subsisté mais sous la forme du “féminin conjugal” (Bernard Cerquiglini), c’est-à-dire pour désigner la “femme de”. L’ambassadrice a ainsi longtemps été la femme de l’ambassadeur.
Et aujourd’hui ?
Jusqu’en 2019, l’Académie a continué sans relâche de refuser la féminisation. En 1998, elle a même rendu au gouvernement Jospin un rapport qui disait en substance ceci : il n’y a pas de masculin et de féminin mais un genre non marqué et un genre marqué. Dans son “Dire, ne pas dire” de 2016 on peut même lire : “C’est donc le féminin qui est le genre de la discrimination et non, comme on peut parfois l’entendre, le genre masculin.” … Reconnaissez que vous ne vous attendiez pas à ce retournement de situation !
Jusqu’en 2019, l’Académie a peu à peu accepté la féminisation des noms de métiers sauf pour les titres, les grades et les fonctions au nom toujours de la neutralité. Il est pourtant intéressant de réfléchir au fait que la société féminise beaucoup plus facilement les métiers moins considérés (caissière, serveuse, éboueuse…) que les métiers d’autorité ou de pouvoir, même si ce pouvoir est symbolique (ingénieur, médecin, professeur…). Personne n’a jamais rechigné à dire que dans le monde du livre travaillaient des éditrices et des traductrices alors pourquoi pas des autrices ? Ces verrous inconscients sont à interroger…
Dans la neuvième édition, l’actuelle toujours en vigueur, on peut lire ceci :
“Une féminisation autoritaire et systématique pourrait aboutir à de nombreuses incohérences linguistiques. Brusquer et forcer l’usage reviendrait à porter atteinte au génie de la langue française.”
C’est vite oublier que c’est l’Académie elle-même qui s’est montrée autoritaire dès sa création en forçant l’usage qui laissait toute sa place au féminin dans la langue !
En 2019 donc, l’Académie a enfin reconnu la féminisation des noms de métiers, y compris le fameux “autrice”. Comme le note Cerquiglini : “Le discours d’autorité grammairienne le cède à l’humble constat de l’usage. Un usage qu’en France l’Académie était la dernière à ne pas suivre.” À force de prétendre qu’elle refusait d’accepter la féminisation pour ne pas brusquer l’usage, l’Académie avait fini par être carrément en retard… Après tout, il a fallu attendre 1980, soit 345 ans après sa création, pour qu’une femme fasse enfin son entrée à l’Académie. Aujourd’hui, elles ne sont toujours que 9 sur 40 membres…